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La chronique littéraire de Frédéric Thiriez : Les insolents, d'Ann Scott

Dernière mise à jour : 24 nov. 2023

Parue dans Le Nouvel Économiste



Prix Renaudot 2023

Les Insolents, d’Anne Scott

Le salut par la solitude, le silence et la beauté de la nature




En toute subjectivité, par Frédéric Thiriez


Les insolents, d’Ann Scott, Calmann-Lévy, 2023.














Vivre seule, enfin, loin de l’agitation de la capitale et surtout, surtout dans “le silence”. Tel est le rêve d’Alex, double romancé de l’autrice, qui quitte sa “cage à lapins” du Marais pour une maison isolée dans le Finistère, loin de tout sauf de la mer. Mais le dixième roman d’Anne Scott n’est ni le récit des tribulations d’une Parisienne en Bretagne, ni une méditation sur la néo-ruralité post-covid. Il nous emmène loin dans l’analyse du besoin de solitude, des affres de la création artistique ou des tares de la société contemporaine, en mettant en scène des personnages dont il décortique savamment les ressorts les plus intimes.

Comme les mousquetaires, les trois personnages principaux du roman sont quatre. Le trio des amis inséparables, Alex, Jacques, Margot, des quarantenaires que l’on suit tour à tour au fil des chapitres, et le jeune Léo, auquel le roman ne consacre que des “interludes” car, à son grand désespoir, il n’arrivera pas à se faire une place dans la vie d’Alex. Alex, le silence et la mer

Alex vit avec et pour la musique. Elle compose. Lassée de la vie parisienne, en panne d’inspiration, elle décide de tout quitter pour vivre seule dans une maison isolée, sans confort, qu’elle a louée sans même la visiter. Les débuts sont rudes. Le village est à 7 km et elle n’a pas de voiture pour faire les courses. La maison est glaciale et elle dort dans le salon, près de la cheminée, pour se réchauffer, après avoir cherché sur Google “comment démarrer un feu”. L’absence de Jacques et de Margot, qui n’ont pas l’air pressés de lui rendre visite, lui pèse. Elle a rompu avec son amoureux, Jean, qu’elle aimait comme un frère depuis quinze ans, car “comment fait- on pour avoir envie de quelqu’un qu’on a toujours considéré comme un frère ?”.

Elle a aussi quitté Lou, une jeune peintre dont elle était très amoureuse mais qui ne voulait pas s’engager. Alex refuse les étiquettes sexuelles: “À Paris, aux mecs qui ne lui plaisaient pas, elle a toujours dit qu’elle était lesbienne pour avoir la paix, et aux filles qui ne l’attiraient pas non plus, qu’elle était hétéro. Mais elle n’en sait rien, finalement”. Mais ici, elle a ce qu’elle voulait : la solitude et surtout le silence. La mer n’est qu’à un kilomètre et elle fait de longues promenades sans rencontrer personne, émerveillée par les couleurs du ciel et de l’océan. Elle se persuade qu’“elle va être très bien ici”. Jacques et Margot

Jacques est un galeriste parisien. Homosexuel, il voudrait rompre avec son dernier petit ami, Mathieu, beaucoup plus jeune que lui. Mais il n’a pas le courage de lui dire. En vérité, “il vient de passer les dix dernières années à se taper des types qui avaient au moins vingt ans de moins que lui. Pas évident de construire avec une telle différence d’âge. Il aimait ça parce que les gens plus jeunes se croient amoureux et qu’il préfère leur innocence à la lassitude des types de son âge qui se disent revenus de tout”. Jacques a été aussi amoureux de Margot il y a quinze ans, et l’est toujours un peu, peut-être (“Mais bon, qui ne tombe pas amoureux de Margot ? Elle est magnifique, cultivée et drôle”). Depuis, Margot est une sœur pour lui, tout comme Alex.

Margot, qui travaille dans un bureau de presse, est “hors norme et imprévisible”. Elle adore sortir le soir en robe longue, faire la fête, mais traverse des épisodes dépressifs qui la précipitent dans l’alcool et l’isolement, après quoi “elle appellera et il faudra alors l’écouter pendant une heure ou plus, en pleine nuit, il faudra écouter sa voix pâteuse et peu intelligible expliquer qu’elle ne comprend pas pourquoi elle n’arrive pas à vivre comme tout le monde”. La vérité est qu’elle est minée par un lourd secret dont elle n’a jamais voulu parler à sa famille. Léo, pourquoi lui ?

Le jeune Léo, sujet des “interludes”, après cinq années d’études en Californie, a loué un meublé, une semaine sur deux, en Bretagne : “au moins, quand il traîne sur la plage déserte, il a le sentiment d’être dans un paysage où il y a de la place pour tout le monde et où il a la sienne”. Il est traumatisé par l’agression purement gratuite dont il a été victime sept ans plus tôt à Paris – dix-sept fractures et deux mois d’hôpital – avec cette lancinante question : pourquoi moi ?


Un soir en Bretagne, alors qu’il était assis sur la plage, une femme est passée et lui a demandé du feu. Ce fut une révélation : “Il a le sentiment d’avoir trouvé l’unique personne qui pourrait le comprendre et qu’il pourrait aussi comprendre… Il a l’impression de savoir qui elle est, comment elle pense et pourquoi. L’impression qu’il vient de trouver ce qu’il cherchait depuis tout ce temps sans même le savoir”. Il n’aura de cesse d’essayer de la revoir, en vain. C’était Alex. Elle l’a à peine remarqué.


Alex restera un an seule dans son repaire, jusqu’à ce qu’une apparition inattendue termine le roman sur une note joyeuse : “Alex sait simplement qu’elle n’a aucune envie de retourner à Paris. Les oiseaux qu’elle entend le matin dans le jardin, le ciel que le vent finit toujours par dégager, les fleurs sauvages le long des chemins, la plage déserte comme une autre planète un peu étrange qui se passe des hommes, la lumière sur la surface de l’eau qui apporte l’indéfinissable, l’impalpable du beau, et le crapaud de l’année dernière à la même saison qu’elle espère voir réapparaître – elle ne peut plus se passer de tout ça”.


Mieux vaut qu’elle ne sache pas ce qui est arrivé à Léo.




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