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Bienvenue chez les hommes, Lyndsey Vonn !

lundi 14 octobre 2019
Publié le 
Frédéric Thiriez
Auteur : 
Bienvenue chez les hommes, Lyndsey Vonn !

Allez, un petit effort, messieurs ! En cette journée internationale des droits des femmes, osez ! Osez dire oui à la plus grande skieuse de tous les temps, l’américaine Lyndsey Vonn -81 victoires en coupe du monde- qui demande depuis des années l’autorisation de s’aligner avec ses collègues masculins dans l’épreuve de descente de Lake Louise. Vous n’avez en vérité aucune raison sérieuse de lui dire non, alors qu’un oui serait un beau signal lancé à celles et ceux qui se battent pour l’égalité des sexes.


« Le règlement, c’est le règlement » lui a répondu militairement la Fédération internationale de ski lorsqu’elle a présenté sa demande pour la première fois il y a cinq ans. Les hommes avec les hommes, les femmes avec les femmes, sinon « c’est la porte ouverte à un tas de demandes », avez-vous dit. La boîte de Pandore, en somme. So what ? Il faut toujours une première fois, et d’autres sports comme l’équitation, la course au large, le rallye automobile ou le marathon mélangent les deux sexes sur la ligne de départ. Florence Arthaud, en haute mer, ou Catherine Destivelle, en haute montagne, ont été les égales d’un Kersauson ou d’un Desmaison. Et que je sache, ces deux disciplines ne sont pas, en langue macho, des « sports de gonzesse » ! Aussi, quand la FIS a proposé à la skieuse américaine, pour lot de consolation, de faire l’ouvreur (euse) pour la descente masculine –sans d’ailleurs être chronométrée- je comprends qu’elle ait décliné poliment. Et pourquoi pas la pom-pom girl ? Mais ça, c’était avant. Accrocheuse, dans la vie autant que sur les pistes, Vonn a renouvelé sa demande pour la descente prévue en novembre 2018. Prudents, sinon embarrassés, les dirigeants ont décidé… de décider en mai prochain. Cornélien !


Les partisans du « non » ont déjà affuté leurs arguments. « Ce n’est qu’un coup de com !» disent les premiers, croyant enterrer le débat. Sauf que les droits des femmes n’ont progressé dans l’histoire que grâce à des « coups de com ». Souvenons-nous des coups de force des « suffragettes » au début du XXème siècle, ou, plus récemment, du manifeste des 343 femmes pour le droit à l’avortement. Certains reprochent à Lyndsey Vonn, icône médiatique, de faire souvent la couverture des magazines. Mais cela lui interdirait-il de mettre sa notoriété au service d’une cause à laquelle elle croit ? Oui, elle s’est faite le porte-parole du girl power. Oui, elle met ses pas dans ceux de l’emblématique joueuse de tennis Billie Jean King qui, en 1973, osa affronter sur le court le champion Bobby Riggs –lequel l’avait mise au défi de le battre- et emporta le match en cinq sets, devant une foule en délire. « Coup de com », là aussi, mais qui a porté un bon uppercut au sexisme dans le sport et, soit-dit en passant, a fait exploser l’audience du tennis féminin … et masculin !


« Elle ne peut pas gagner, alors à quoi bon ? » disent les seconds. Pardon, mais depuis quand faut-il être sûr de gagner pour s’engager dans une compétition ? Le baron Pierre de Coubertin, qui au demeurant préférait voir les femmes aux fourneaux que dans un stade, ne disait-il pas qu’il « n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer » ? Lors de la descente de Lake Louise de 2011, Lyndsey, concourant avec les filles, a mis quatre secondes de plus que le vainqueur de l’épreuve masculine. C’est peu et beaucoup à la fois. Stimulée par ce nouveau challenge, elle pourrait faire mieux en 2018. Ou pas… Mais c’est tout ce qu’elle demande : avoir le droit de tenter sa chance. « Je veux juste savoir jusqu’où je peux repousser mes limites » dit-elle. Un Coubertin du XXIème siècle devrait applaudir.


« Sa démarche est orgueilleuse, c’est du mépris pour les autres filles » entend-on encore. Culpabilisant, l’argument est, en fait, peu convaincant, surtout s’il émane des hommes…Les sportifs de haut niveau, garçons ou filles, sont des compétiteurs dans l’âme, habitués à vivre dans un environnement hyper-concurrentiel. Le collègue, l’ami, est en même temps rival. La jalousie est étrangère à l’esprit sportif. De plus, la skieuse ne fausserait pas la concurrence puisqu’elle renoncerait à participer à l’épreuve féminine si elle est autorisée à courir avec les garçons.


Demeure l’ultima ratio, l’argument-choc qui légitime trop souvent les discriminations : la séparation hommes-femmes a pour seul but la protection du « sexe faible » ! Songez-y. Faire courir les femmes avec les hommes serait beaucoup trop dangereux pour celles-ci. Elles sont tellement inférieures aux garçons ! De plus, regrouper les filles dans une catégorie à part leur permet de décrocher des médailles qu’elles n’auraient jamais dans une épreuve mixte. Réjouissez-vous donc mesdames, chacun à sa place et tout ira bien. Diable ! La querelle est d’importance. Pour ma part, je suis convaincu que les compétitions séparées sont pour les femmes un cadeau empoisonné, qui les maintient durablement en situation d’infériorité, j’allais dire dans la catégorie des « sous-hommes ». Ce débat, ouvert depuis la naissance du mouvement olympique ou presque, n’est pas prêt d’être clos. Mais il est inutile d’attendre qu’il le soit pour trancher le « cas Lyndsey Vonn ». Qu’on ne lui oppose pas la protection de la femme, puisque c’est elle qui demande à courir l’épreuve des hommes, qu’elle skie depuis bien longtemps avec des skis d’homme, qu’elle a un physique et un mental à l’épreuve des balles, que le parcours et le dénivelé de la descente de Lake Louise sont les mêmes pour les garçons et pour les filles, et …si j’ose cet argument bassement mercantile, qu’une telle course connaîtrait un succès public phénoménal !


Alors, messieurs, de grâce, ne vous abritez pas derrière les règlements. Ce sont ces mêmes règlements qui ont interdit aux femmes la pratique du golf, de la course de fond ou du saut à ski jusqu’à la fin du XXème siècle, et qui leur interdisent encore aujourd’hui le canoë ou la lutte gréco-romaine. Dites oui à Lyndsey Vonn et vous aurez planté un joli drapeau sur le parcours prometteur du sport féminin. On le voit en particulier dans le football, l’augmentation du nombre des pratiquantes est la première étape, incontournable, de la longue route vers l’égalité des sexes dans le sport. Mais l’égalité ne sera véritablement atteinte qu’avec la mixité. A l’école, au travail, la mixité s’est imposée. Dans le monde économique ou politique, elle progresse. Qu’elle se développe dans le sport et tout le monde y gagnera, pas seulement les femmes, mais aussi les hommes, le sport lui-même et son image.

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