top of page

La chronique littéraire de Frédéric Thiriez : "Tueurs en série made in France", de Gilbert Thiel

Parue sur Le Nouvel Économiste


Dictionnaire pas amoureux

Abécédaire des serial killers français, des origines à nos jours






En toute subjectivité, par Frédéric Thiriez

 



 Éditions Robert Laffont, 2023

 











Ce dictionnaire des serial killers français n’aurait assurément pas eu sa place dans la jolie collection des ‘Dictionnaires amoureux’ de Plon, sauf à soupçonner son auteur d’attirance pour les monstres qu’il décrit.

Ce n’est assurément pas le cas du juge Thiel, qui nous livre un document scientifique, clinique presque, sur ces criminels qui, depuis Gilles de Rais, condamné à mort en 1440 pour avoir violé et assassiné 140 enfants, jusqu’au couple infernal Michel Fourniret-Monique Olivier, en passant par Landru, le docteur Petiot, Émile Louis, Francis Heaulme ou Guy Georges, ont défrayé la chronique, terrorisé les gens, défié la justice et la police.

 

57 tueurs made in France

Le premier mérite de cet ouvrage est de tordre le cou (pardonnez cette expression fort malvenue ici) à l’idée que le crime en série serait une spécificité nord-américaine. Aucune société n’est épargnée, la nôtre pas plus que les autres. L’auteur a recensé 57 tueurs en série “made in France”, étant entendu que pour mériter ce qualificatif, il faut avoir commis au moins trois assassinats. Le juge Thiel a choisi de les présenter, “à défaut de savoir les classer”, par ordre alphabétique, en commençant par la lettre A, “A comme assassinat”, ajoute-t-il.

 

Chaque cas est présenté de manière méthodique : le passé de l’individu, son parcours criminel, l’enquête judiciaire, les avis des psychiatres, le déroulement du (ou des) procès, avec notamment les déclarations de l’accusé. Remarquons d’emblée que les 55 tueurs sont tous des hommes, si l’on met à part la compagne de Michel Fourniret, et les victimes principalement des femmes… Notons aussi que, parmi les auteurs de crimes en série “non crapuleux”, c’est-à-dire ceux qui tuent uniquement par plaisir, la plupart ont un très lourd héritage familial (fratrie nombreuse, père alcoolique et violent, mère battue…).

 

Le second mérite de l’ancien juge d’instruction est de ne pas nier les défaillances policières et judiciaires qui ont pu permettre la réitération de crimes pendant des années avant que leur auteur soit arrêté. Ainsi Patrice Allègre, le tueur toulousain, put commettre six meurtres à partir de 1989, considérés comme des suicides, avant d’être confondu huit ans plus tard et jugé en 2002. Les “disparus de Mourmelon” furent considérés comme des déserteurs et il fallut 21 ans à la justice pour renvoyer l’adjudant Chanal devant la cour d’assises. Les jeunes filles enlevées et assassinées dans l’Yonne entre 1975 et 1979 par Émile Louis, pourtant condamné deux fois pour attentat à la pudeur et libéré, n’intéressèrent la justice que vingt ans plus tard, au moment où l’épouse du tueur de l’Yonne révéla aux gendarmes que son mari la battait et la violait, elle et sa fille, depuis trente ans. Il est vrai que les enquêtes ont été grandement facilitées par la création du fichier national des empreintes digitales en 1985 et du fichier des empreintes génétiques en 1998, ainsi que par l’interconnexion des fichiers de police et de gendarmerie.

 

Quoi ? Comment ? Pourquoi ?

Au fur et à mesure que le lecteur progresse dans les 750 pages du dictionnaire, il ne peut manquer de se poser la question du “Pourquoi”. Pourquoi ces monstruosités réitérées ? Pourquoi cette absence de remords ? Lorsque le mobile est l’argent, comme pour Landru, le docteur Petiot ou encore le docteur Laget, qui multipliait les mariages pour s’approprier les biens de ses épouses avant de les empoisonner à l’arsenic, nous sommes en pays connu.

 

Mais lorsque le crime est gratuit, qui plus est accompagné d’actes de torture et de barbarie, c’est une autre affaire. Francis Heaulme avouait : “Je voulais être militaire pour tuer” et, pour tenter d’expliquer pourquoi il avait frappé une brave octogénaire qui rentrait de faire ses courses : “Soudain, je me suis senti en état de guerre, il fallait que je tue… J’ai frappé, combien de fois je ne sais pas, je ne voyais plus rien”, avant de lancer : “Vous voulez que je vous dise ? Tout est la faute de mon père. Ma mère, c’est une sainte”. Le tueur de l’est parisien, Guy Georges, lorsqu’il eut la parole le dernier devant les assises qui le condamnèrent à la perpétuité en 2001, interpella ainsi les jurés : “Pourquoi mes parents m’ont-ils abandonné ? Pourquoi ne s’est-on pas davantage penché sur mon cas après ma première condamnation ? Pourquoi ma folie meurtrière… Pourquoi je suis devenu ce tueur implacable et sans pitié, diabolique et démoniaque selon l’avocate générale ? Pourquoi ?”.




bottom of page