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La 6ème République ne peut être que présidentielle

C’est une affaire entendue : la « cinquième République bis » sur laquelle nous vivons depuis l’élection du président au suffrage universel et la réduction de son mandat à cinq ans est, au mieux, boiteuse, au pire, inadaptée à une démocratie moderne. Partant de ce juste diagnostic, les chantres d’une « sixième République » préconisent un remède inopérant, voire pire que le mal.


Imaginer que, par une lecture stricte de la constitution de 1958, on puisse restaurer la puissance du Parlement et cantonner le Président à un rôle d’arbitre est une chimère. Elu directement par les français, auxquels on n’enlèvera pas ce pouvoir, le chef de l’Etat est de facto chef de l’exécutif. Ce statut a encore été renforcé par l’adoption du quinquennat et la concomitance des élections présidentielles et législatives, qui devraient réduire les risques de « cohabitation ». Aussi, plutôt que de s’attendrir sur un passé révolu, les réformateurs devraient se demander si l’avenir de nos institutions ne passe pas par une véritable séparation des pouvoirs, permettant au Parlement de jouer pleinement son rôle. En un mot, un régime présidentiel.


Quel est le problème ? La concentration des pouvoirs entre les mains d’un seul homme, à la fois chef de l’exécutif –ce qui n’est pas critiquable en soi- mais aussi « patron » de la majorité parlementaire, devenue en réalité majorité « présidentielle ». Patron par obligation en quelque sorte, faute de quoi le président élu, à la merci d’une assemblée hostile, serait condamné, soit à l’impuissance, soit à voir son gouvernement renversé par une motion de censure.


Cette concentration des pouvoirs n’est donc pas seulement un fait, c’est une nécessité, imposée par la structure de nos institutions, qui demeure parlementaire malgré l’élection directe du président par le peuple.


Et l’on sent bien ici les incohérences de ce système hybride. D’une part, le parlement se trouve réduit à la soumission, sauf pour la majorité à mettre en difficulté le président sur le nom duquel elle a été élue. D’autre part, la responsabilité politique du gouvernement devant le parlement est privée de sens puisque le véritable chef de l’exécutif n’est plus à Matignon. Certes, le président est responsable devant le peuple qui l’a élu mais, avec la désuétude du referendum, cette responsabilité ne peut être mise en jeu qu’un dimanche tous les cinq ans.


Que faire ? Contre le risque de confusion des pouvoirs, il faut oser la séparation des pouvoirs. Face au président, élu au suffrage universel, chef de l’exécutif, un parlement indépendant et puissant. Seul un régime présidentiel serait de nature à assurer demain en France cet équilibre.


Car les mots sont trompeurs. En régime parlementaire, l’assemblée est soumise à sa majorité, qui a délégué son chef à la tête du gouvernement, avec obligation de le soutenir, sous peine de provoquer une crise gouvernementale. Comme disait Jean-Pierre Chevènement, « la soi-disant responsabilité du gouvernement devant le parlement se renverse. En réalité, le parlement est responsable de soutenir le gouvernement si les députés ne veulent pas retourner sur les marchés pour distribuer des tracts » (1). Le régime parlementaire est, par construction, un régime de parlement faible, à l’inverse du régime présidentiel, où les assemblées sont indépendantes, votent librement la loi, le budget et contrôlent l’administration, sans risque pour la stabilité de l’exécutif -qu’elles ne peuvent renverser-, ni pour leur propre mandat électif - faute de dissolution possible par le président.


Les implications d’une telle réforme sont connues : suppression du poste de Premier ministre, qui devient le premier des ministres, ce qu’il est déjà; suppression de la motion de censure, du droit de dissolution et du referendum d’initiative présidentielle –hors révision constitutionnelle -, devenus en pratique obsolètes ; suppression des mécanismes du « parlementarisme rationalisé » qui entravent l’action du parlement (vote bloqué, article 49-3, maîtrise de l’ordre du jour par le gouvernement).


Quelles objections ? Les partisans du statu quo avancent surtout les risques de blocage des institutions en cas de désaccord entre le président et le parlement. Ils négligent que de tels désaccords se règlent la plupart du temps par le dialogue entre l’exécutif et le législatif. La concertation, le compromis ne sont-ils pas vertueux dans une démocratie ? Et qu’on ne dise pas que les régimes parlementaires sont un modèle de stabilité : faute de majorité, l’Italie s’est trouvée sans gouvernement pendant trois mois l’an dernier, l’Allemagne pendant presque six mois après les élections de 2017, la Belgique pendant dix-huit mois lors de la fameuse crise de 2010-2011, un « record » récemment battu par l’Irlande du Nord avec 545 jours… Si le système présidentiel fonctionne parfois « cahin-caha », selon la célèbre formule du général de Gaulle, que dire de ces exemples affligeants ?


« Mais la France n’est pas l’Amérique ! Ça ne marcherait pas chez nous » entend-on aussi. En filigrane, l’idée que le compromis est rendu possible aux Etats-Unis par la souplesse des partis démocrate et républicain, où la discipline de vote n’est pas rigide, à la différence des pays européens qui excellent dans un affrontement droite-gauche irrépressible et vengeur. Mais cette vision du paysage politique européen n’est-elle pas dépassée ? La percée des mouvements populistes chez nos voisins, la recomposition politique entamée par le président français actuel, font bouger les lignes. Des « majorités d’idées » peuvent émerger sur certains sujets, favorisant les compromis nécessaires entre l’exécutif et le législatif. Il n’est plus interdit d’être intelligent.


Cette convergence pourrait être encouragée par l’introduction, en France, d’une « dose » suffisante de proportionnelle pour les élections à l’Assemblée, qui, sans inconvénient pour le fonctionnement des institutions grâce à la séparation des pouvoirs, répond à une demande légitime des partis minoritaires et de leurs électeurs.


Demeure, en définitive, l’argument sous-jacent que j’appellerai celui de « la main tremblante ». Notre constitution a 60 ans et s’est révélée adaptable aux circonstances. A quoi bon en changer ? « On ne touche à la constitution que d’une main tremblante », disait Gérard Larcher. Certes, mais sans trembler pour autant, on doit constater que la constitution a été révisée 24 fois depuis 1958. S’il en faut une 25ème pour parfaire notre démocratie, pourquoi pas ?


(1) Colloque de la fondation ResPublica, 5 novembre 2007.

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