Article Marianne - le 28 septembre 2023
Entretien
JO de Paris : "Le voile est contraire aux principes fondamentaux de l’olympisme"
La porte-parole du Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU a rappelé son opposition de principe au fait d’« imposer à une femme ce qu'elle doit porter ou non », après que la ministre des sports Amélie Oudéa-Castéra a annoncé que les athlètes françaises ne pourront pas porter le voile aux JO de Paris. Ex-président de la Ligue de football professionnel, Frédéric Thiriez dénonce la « naïveté » de dirigeants vis-à-vis de l’« islam politique ».
Ancien président de la Ligue de football professionnel, Frédéric Thiriez ne goûte pas la récente déclaration de Maria Hurtado, porte-parole du Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU. Interrogée à propos de l’interdiction du port du voile pour les athlètes françaises lors des prochains jeux olympiques de Paris en 2024, elle a indiqué que « de manière générale, le Haut-Commissariat estime que personne ne devrait imposer à une femme ce qu'elle doit porter ou non. »
À l’inverse, Frédéric Thiriez soutient cette interdiction et défend la « neutralité dans le sport ». En juin, il était l’avocat de la Ligue du Droit International des Femmes qui s’opposait à la requête des « Hijabeuses » au Conseil d’État pour autoriser le port du hijab lors des compétitions de foot. Marianne l'a rencontré.
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Marianne : La ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castéra, a annoncé que les athlètes françaises ne pourront pas porter le voile aux Jeux Olympiques de Paris. Que pensez-vous de cette décision ?
Frédéric Thiriez : La ministre est dans son rôle en rappelant les règles du droit français. Mais celui-ci pèse peu vis-à-vis des organisations internationales, comme l’ONU ou le CIO (Comité international olympique). Pour ma part, je préfère me fonder sur la Charte olympique, dont l’article 50.2 indique qu’ « aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique », ou sur la Convention internationale contre les discriminations faites aux femmes qui prohibe les différences de traitement entre hommes et femmes.
« C’est une très belle idée de considérer que, quand on fait du sport, on met de côté les opinions politiques et religieuses. »
Le CIO fait-il une erreur en appréhendant, comme l’a rappelé la ministre, le voile comme un signe culturel et non cultuel ?
C’est une vaste plaisanterie qui n’a pas été inventée par le CIO mais par le prince Ali de Jordanie lorsqu’il a milité pour l’autorisation de porter le voile lors des compétitions de la FIFA. Je m’étais publiquement élevé contre cette demande en expliquant que le voile est « le linceul de l’esprit sportif ». D’ailleurs, les Hijabeuses, devant le Conseil d’État, affirmaient vouloir porter le hijab par conviction religieuse, pas du tout par tradition culturelle.
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En quoi le voile est selon vous le « linceul de l’esprit sportif » ?
Le voile est contraire aux principes fondamentaux de l’olympisme énumérés par la Charte. D’abord l'universalité du sport, c'est-à-dire le respect de principes éthiques universels. Nous sommes tous sur la même planète et soumis aux mêmes règles. Ensuite, la neutralité du sport. C’est une très belle idée de considérer que, quand on fait du sport, on met de côté les opinions politiques et religieuses. Enfin, l’égale dignité des femmes et des hommes. Il n’est pas possible que dans le sport on accepte un signe qui n’est pas seulement un signe religieux mais aussi un signe de soumission de la femme à l’homme.
La porte-parole du haut-commissariat aux droits de l’homme de l’ONU, Marta Hurtado, a rappelé son opposition de principe à l'interdiction, estimant que « personne ne devrait imposer à une femme ce qu'elle doit porter ou non ». Comprenez-vous cette position ?
Il faut en effet rappeler que ce n’est pas une prise de position de l’ONU mais de la porte-parole du Haut-Commissariat aux droits de l’homme, en réponse à une question lors d’un point presse. Cette déclaration n’engage ni l’ONU ni même le Haut-Commissariat.
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Cela dit, Madame Hurtado sous-entend que le port du voile n’est que l’expression de la liberté des femmes. Mais il suffit d’aller voir en Iran et en Afghanistan ce que les femmes en pensent ! Par ailleurs, indépendamment de la Charte olympique, il y a la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes à travers laquelle les États s’engagent à prendre les mesures nécessaires pour « parvenir à l'élimination des préjugés et des pratiques coutumières, ou de tout autre type, qui sont fondés sur l'idée de l'infériorité ou de la supériorité de l'un ou l'autre sexe ou d'un rôle stéréotypé des hommes et des femmes ». C’est son article 5. Madame Hurtado prétend l’écarter, au motif que ce texte peut avoir des « effets néfastes ». Depuis quand la porte-parole du Haut-Commissariat peut choisir dans une convention internationale ce qu’elle prend ou ne prend pas ?
Craignez-vous que les jeux Olympiques de Paris soient l’occasion de pressions prosélytes ?
Ce le sera malheureusement, certainement. L’islam politique est extrêmement puissant. Face à cela, on a beaucoup de naïveté de la part des dirigeants, politiques, sportifs ou des médias. Comme souvent il y a une guerre entre deux tendances profondes, la philosophie universaliste dont je me réclame et la tendance inclusive qui aboutit à abandonner les principes universels pour satisfaire telle ou telle catégorie.
Avez-vous l’impression que les grandes institutions sportives internationales, comme le CIO ou la FIFA, cèdent aux pressions de certains États sur les questions de neutralité religieuse ?
Dans l’affaire du hijab, pratiquement toutes les fédérations internationales ont cédé aux pressions de l’Arabie saoudite et de l’Iran. Le CIO s’en remet, lui, aux positions des fédérations internationales… À part la France qui reste ferme, beaucoup sont prêtes à sacrifier les principes de l’olympisme. Avec Shirin Ebadi, militante politique iranienne, prix Nobel de la paix 2003, et Mahyar Monshipour Kermani, ancien champion du monde de boxe, nous avons écrit au président du CIO pour demander l’exclusion de l’Iran des Jeux Olympiques pour discrimination envers les femmes.
Lors d’un précédent entretien en juin, vous mentionniez les témoignages « inquiétants » que vous receviez de président de clubs de football amateur concernant des pressions prosélytes. Avez-vous l’impression que les pouvoirs publics réagissent suffisamment ?
Je pense que le grand soulagement vient de l'arrêt du Conseil d’État sur le hijab dans le football. Cela conforte les instances fédérales et donc aussi les clubs amateurs. Mon souci maintenant est que cela ne se limite pas au football. Il serait souhaitable que les autres fédérations, qui n’ont pas encore tranché, prennent des dispositions identiques à celles de la Fédération Française de Football.
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