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Photo du rédacteurFrédéric Thiriez

Le Conseil d’État sauve les Soulèvements de la Terre

Depuis 1936, la loi permet au gouvernement de dissoudre par décret les associations ou « groupements de fait » qui provoquent à la violence. Initialement limitée aux « groupes de combat et milices privées » qui avaient nourri les émeutes du 6 février 1934, la loi a été progressivement étendue, en dernier lieu par la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, aux groupements « qui provoquent … à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens ». Un grand nombre d’associations ont été ainsi dissoutes depuis l’origine, parmi lesquelles l’OAS, le FLN, l’OCI, la Gauche prolétarienne, Occident, le FLB, le SAC, Action directe ou le FLNC.


Le 21 juin 2023, un décret a prononcé la dissolution des Soulèvements de la terre, au motif que ce groupement de fait légitimait des actions violentes dans le cadre de la contestation, au nom de la protection de l’environnement, de certains projets d’aménagement et incitait à la commission de dégradations matérielles (mégabassines, chantiers, plantations…). Ce décret a été contesté devant le Conseil d’État par le groupement, représenté par mon associé Me Antoine Lyon-Caen, qui en a d’abord obtenu la suspension en référé le 21 août 2023. Les juges des référés ont estimé qu’il y avait bien urgence et que les arguments avancés par la requête étaient sérieux. Mais l’affaire restait à juger sur le fond. C’est chose faite avec l’arrêt qui a été rendu le 9 novembre.


L’arrêt est important car, rendu par la Section du contentieux, la formation la plus élevée après l’Assemblée, et contrairement aux conclusions du rapporteur public qui concluait à la légalité de la dissolution, il est rédigé comme un arrêt de principe, explicitant le « mode d’emploi » de la dissolution à l’intention de l’administration :

- eu égard à la gravité de l’atteinte portée à la liberté d’association, principe constitutionnel, la dissolution ne peut être mise en œuvre que pour prévenir un trouble grave à l’ordre public ;

- il faut que le groupement, à travers ses dirigeants ou ses membres en cette qualité, incitent des personnes, par des actes ou des propos, à se livrer à des agissements violents envers les personnes ou les biens. La seule commission d’acte violents par les membres du groupement ne suffit pas ;

- enfin, la mesure de dissolution doit apparaître adaptée, nécessaire et proportionnée à la gravité des troubles à l’ordre public.


C’est cette dernière condition qui fait défaut pour le Conseil d’État. Il admet, certes, que le groupement doit être considéré comme provoquant à des violences, non contre les personnes, mais en tous cas contre les biens, de sorte qu’il entre bien dans le champ d’application de la loi. Toutefois, il estime que la mesure de dissolution est disproportionnée par rapport à la gravité des agissements des Soulèvements de la terre. En d’autres termes, les provocations à la violence ont eu des effets limités en pratique. C’est sur ce point qu’avait insisté d’ailleurs Me Lyon-Caen dans sa plaidoirie, qui soulignait la « modicité des dommages causés aux biens ». Il a été entendu.


Cette décision, qui rejoindra sans doute la cohorte des grands arrêts de la jurisprudence administrative, incitera certainement les pouvoirs publics à ne signer un décret de dissolution qu’avec « la main tremblante ».

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