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Photo du rédacteurFrédéric Thiriez

La chronique littéraire de Frédéric Thiriez : "D'or et de jungle", de Jean-Christophe Ruffin

Parue sur Le nouvel Économiste



Coups d’État sur mesure

Un coup d’État clé en main mené au sultanat de Brunéi par une agence privée commanditée par des milliardaires de la tech






 


En toute subjectivité, par Frédéric Thiriez




 













Vous ne connaissez pas le sultanat de Brunei ? Alors le dernier opus de notre écrivain-diplomate vous en fera découvrir tous les mystères. Ce micro- État de 400 000 âmes se situe au nord de l’île de Bornéo, elle-même partagée entre la Malaisie, au nord, et l’Indonésie, au sud. Le sultanat était sous protectorat britannique jusqu’à son indépendance, en 1984. C’est une monarchie islamique, le sultan cumulant les fonctions de chef de l’État, de chef religieux, de Premier ministre et de chef des armées. L’actuel sultan règne depuis cinquante-six ans… Le petit pays est riche en pétrole et en gaz, ce qui lui assure un niveau de vie plus qu’honorable en Asie.

 

Mais ‘D’or et de jungle’ n’est pas une nouvelle version du Guide du routard. Jean-Christophe Rufin nous offre Brunéi comme l’écrin d’un roman d’aventures palpitant qu’on ne lâche pas avant la dernière page. Le sujet ? L’organisation et le déroulement au sultanat d’un coup d’État “clé en main” conduit par une agence privée spécialisée, mandatée par un groupe de milliardaires de la tech désireux de disposer de leur propre État… Une idée moins saugrenue qu’en apparence, les géants du numérique manifestant depuis longtemps leur volonté de s’affranchir du pouvoir des États, et en particulier de la tutelle des États-Unis.

 

Certains avaient pensé, comme le rappelle l’auteur dans sa postface, à revendiquer l’indépendance de la Californie, ou encore à créer leur propre cité ex nihilo dans ce même État, mais le principe de réalité avait vite réduit à néant ces velléités. Pourquoi alors ne pas s’emparer tout simplement d’un des 193 États membres de l’ONU, dont beaucoup sont petits et fragiles, pour acquérir la pleine souveraineté recherchée ? C’est ce scénario que déroule le roman, avec une précision et un réalisme redoutables.

 

Rien n’échappe au lecteur : la sélection du pays cible, le recrutement savant de l’équipe, le renseignement sur le terrain, le travail magique des hackers, la recherche du successeur du sultan, l’exploitation des fragilités de la société brunéienne en application de la théorie de l’ébranlement d’inspiration trotskiste, puis le déclenchement du coup d’État lui-même et la prise du palais sans tirer un coup de feu… Du travail d’expert, même si l’issue finale ne sera pas tout à fait celle qui était planifiée.

 

“Ailleurs, sans doute. Demain, peut-être”

Au cœur de l’action, quelques personnages bien campés avec lesquels on ne peut s’empêcher de sympathiser. Le chef des opérations d’abord, Ronald, un ancien militaire du 75e Rangers reconverti dans une agence privée dont la dernière opération secrète à Madagascar a dramatiquement échoué et qui a créé sa propre structure. Flora, la guerrière, ancienne championne de plongée en apnée, nageuse de combat, dopée par le goût du risque et de l’action clandestine. Son binôme Jo, le gitan machiste détesté au départ par Flora qui finira par succomber à son charme. Selma, la spécialiste de géopolitique, au genre incertain mais au diagnostic sûr.

 

Le Pr Delachaux, 75 ans, moumoute sur le sommet du crâne, ancien gauchiste, agrégé de philosophie auteur de nombreux livres sur les coups d’État. Les deux jeunes hackers à “l’air hébété et presque stupide, les yeux éteints, la bouche entrouverte… À y regarder de plus près, il s’agissait d’un garçon et d’une fille, mais ils paraissaient avoir brouillé les cartes au départ, comme des joueurs de bridge qui piochent leurs atouts dans le jeu de leur partenaire (…) Ronald se demanda s’ils étaient un couple, puis il se dit que leur sexualité se situait probablement ailleurs, dans le virtuel”.

 

Comme le dit l’auteur dans sa postface, si son œuvre est bien une fiction, “Brunéi sert ici de laboratoire pour une expérience qui aurait aussi bien pu être menée ailleurs et dans un tout autre contexte (…) Mon but n’est pas le vrai, mais le vraisemblable”. De fait, en refermant le roman, le lecteur ne peut s’empêcher de se dire que tout ça pourrait bien se produire. “Ailleurs, sans doute. Demain, peut-être”, sourit l’auteur.

 

 

 

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